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Hommage à Jean Giono

Hommage à Jean Giono

 

 

 

 « Quand le courrier de Banon passe à Vachères, c’est toujours dans les midi. »

 

Voilà, tout est dit déjà. La haute Provence, odeurs de romarin, lavandin et serpolet, la fraîcheur du matin qui s’évapore sous l’ascension du soleil, la musique des cigales et la grimpée lente, cahoteuse vers Banon.

Regain fut ce roman par quoi je rencontrai Jean Giono pour la première fois. Et ce fut une fulgurance, un éblouissement, une raison d’écrire parce que moi, dont la plume était misérable et indigeste, je me découvrais un maître. Un guide.

« Alors, une fois, c’était à l’époque des olives, on a entendu dans le bas du vallon comme une voix du temps des loups. Et ça nous a tous séchés de peur sur nos échelles. C’était en bas, près du ruisseau. On est resté longtemps comme ça, puis on a osé. On est descendu à travers les vergers, tous muets, à ne pas savoir. Nos femmes étaient restées, toutes serrées en tas. Et ça hurlait toujours, en bas, à déchirer le tendre du ventre ! » 

Imaginez le remue-ménage que ces phrases ont provoqué en moi, jeune adolescent qui rêvait de grands espaces, certes maritimes, mais aussi d’une vie pastorale, ces deux besoins nés d’aïeux tant marins que paysans.

Dès lors, Jean Giono devint mon compagnon. Si je lui fis quelques infidélités, la jeunesse rêve de biens et de richesse, ce n’était que superficiel. Au fond, Jean Giono me confortait dans ce que je crois être l’essentiel et qui naissait en moi. Par petites vagues.

Dans le désordre de mes lectures, Le grand troupeau, Un de Baumugnes, Colline, furent des étapes avant d’aborder Que ma joie demeure. Ah le beau récit, l’ode à la liberté !

Je ne me souviens guère d’une première lecture qui pourtant fut. C’est en ouvrant ce roman une seconde fois que j’eus la révélation. Jean Giono y exalte un sentiment de la dignité des êtres et des choses, c’est un pur rêve de bonheur. La nature, comme dans ses autres romans du cycle de Pan, est belle mais purificatrice, Boby demeure le mystère, et Jourdan le paysan, un modèle.

Profondément empreint par ce roman, je baptisai ma maison dans le Jura du nom de « La Jourdanne ». Et cette année-là, nous prîmes nos vacances en louant une habitation à Banon.

Je parcourus tous les lieux gionesques. Manosque, la montagne de Lure, un village en ruine  dont les seuls habitants, une tisserande et sa fille, prétendaient qu’il servit de modèle à Giono pour situer Aubignane de Regain,  Reillanne, Redortiers,  le Contadour,…

Nous logions dans un appartement du vieux Banon. Les fenêtres donnaient sur le plateau bleui de lavandins. La ruelle escarpée atteignait les ruines d’un château où les burins d’un sculpteur et de ses disciples sonnaient sur la pierre et le marbre. J’avisais un talus ombragé sous des pins, et face au vaste paysage, j’ouvris un cahier d’écriture. Oh, ce n’était que du mauvais Giono mais  depuis mes échanges avec Georges Brassens, des années auparavant, c’était la première envie, le désir spontané d’écrire à nouveau. Je n’ai depuis lors cessé d’écrire avec pour accompagnateur Jean Giono.

J’ai poursuivi ma quête de lectures. Après le cycle de pan ou la 1ère manière, j’ai abordé le cycle du hussard. Angelo, Mort d’un personnage, le hussard sur le toit, Un roi sans divertissement, notamment, enrichirent   ma maigre culture.

Dès la 2ème manière, le virage est pris, la relation entre les hommes et les femmes éclate au grand jour. Ce n’est plus la terre inspiratrice, ce sont les hommes et les femmes qui illuminent le souffle gionesque dans un héritage directement stendhalien. Ce second cycle apparaît aux spécialistes le meilleur de son œuvre. C’est assurément très ambitieux. Pourtant, vous me permettrez de conserver à jamais la 1ère manière, ces romans nés de la terre et du ciel, comme étant pour moi la révélation des « vraies richesses ».

Ce Giono du premier cycle était un homme d’espaces, comme Conrad ou Melville. Un homme qui suit la course du soleil, d’un horizon l’autre. Il racontait la terre avec des mots comme des pas lents, dialoguant avec les arbres, les ruisseaux, appelant les mythes à parcourir la lande, et rencontrant des paysans qui utilisaient avec respect la langue, les coutumes et le savoir des anciens.

Au cours des années qui suivirent mon retour à l’écriture, je devins membre de l’Association des Amis de Jean Giono. Les cahiers trimestriels de l’Association, les entretiens, les rencontres nourrissaient mes connaissances balbutiantes sur l’auteur des Vraies richesses, des Âmes fortes  et du Bonheur fou. De cet admirable Pour saluer Melville, le meilleur Giono disent les spécialistes. Exceptionnel ! Ainsi fis-je la connaissance de personnes qui avaient côtoyé le maître, et en premier lieu de Sylvie, sa fille. Chaque année nous réunissait sur un lieu marquant l’œuvre de Jean Giono. Je me souviens en particulier du repas pris en commun sur l’endroit même du festin de Crésus. Nous étions « en costumes » et je fus placé près du boulanger qui, à cause de l’espièglerie de Fernandel, dût recommencer la pièce montée, lors du tournage du film, qu’un croc en jambe avait dévastée.

Mais que sais-je de Jean Giono, hors vie littéraire ? Certes, ce que m’apprirent Sylvie, les amis de l’association, les lectures, des bribes intimes échappées de lignes et d’éclats de rire, de confidences, mais Jean Giono était unique parce que multiple.

L’homme de Manosque s’inventait de nombreuses vies. C’était un prestidigitateur.  Au fond, ses proches connaissent-ils le vrai Giono ? Qui le connaît ? Ses yeux bleus cachaient une vie intérieure intense. Et quoique sa faconde fût méridionale, il se livrait peu. Ou bien trop. Et cette exubérance, ce trop, était un véritable labyrinthe.

Il était également un fieffé menteur. Un affabulateur de première ! Sans mensonges, la vie lui aurait parue terne. Il avait ce don inné chez lui d’embellir, de développer des prolongements controuvés, magnifiés ou fantastiques, avec un tel aplomb, une telle assurance, que ses auditeurs mordaient à l’appât sans soupçons. Et il s’en amusait beaucoup.

Aline dans Mon père, contes des jours ordinaires écrit à ce propos plusieurs anecdotes savoureuses. Il usait également de mauvaise foi. Dans le même ouvrage d’Aline, les six maisons de maman révèlent un papa jamais à bout d’arguments. Mais une sorte de papa rêvé, dont les mensonges et la mauvaise foi étaient souvent teintés de tendresse.

Toutes les facettes de Jean Giono sont loin d’être épuisées, quand elles sont connues. Parfois cachées. Les biographes n’ont retenu que ce qu’ils voulaient bien laisser apparaître au grand jour. C’est oublier qu’un auteur, aussi grand soit-il, est avant tout un homme.

 

Parfois, lorsque j’évoque Jean Giono, certains me disent encore : Mais il a collaboré votre Giono,ce qui lui a valu de la prison à la libération, c’est quand même dommage !

Aussi, je souhaite une fois encore apporter ces précisions pour laver un honneur qu’il n’avait jamais sali : Il fut par deux fois emprisonné. Une première fois pour pacifisme, avant la seconde guerre mondiale, une seconde fois après la guerre, honteusement soupçonné de collaboration, lui qui avait abrité des juifs, aidé des Allemands fuyant le nazisme, caché des maquisards. Délirante accusation classée sans suite.

 

Par un mois de juillet brûlant, j’ai rencontré Jean Giono dans cette Provence qu’il n’aimait pas, mais enfin qui était sienne. Cette Provence où par la suite j’ai vécu. Qu’importe l’endroit, il avait trouvé son Eden pour écrire le ciel et la terre.

Bien des années plus tard, j’ai trouvé mon Eden dans ma Normandie natale. A lui le Paraïs, son refuge, à moi l’Emprière ma retraite. Autre lieu, semblable obstination. Il subissait les temps modernes contre lesquels il se révoltait. Que dire aujourd’hui sur les méfaits de la mondialisation contre lesquels gesticule le vieux fossile ? Tout comme lui je suis un autodidacte. Mais les comparaisons s’arrêtent au seuil de son talent. Immense. Unique.

 

Il est debout devant ses champs. Il a ses grands pantalons de velours brun, à côtes ; il semble vêtu avec un morceau de ses labours.

Les bras le long du corps, il ne bouge pas. Il a gagné : c’est fini.

Il est solidement enfoncé dans la terre comme une colonne.

 

                                                           (Regain)

 

 

 



09/07/2010
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